Tribune parue dans Libération, le 8 novembre 2022
Face à une crise financière inédite, ils nécessitent un investissement massif pour améliorer l’offre et augmenter les fréquences des lignes. La hausse du prix du pass Navigo serait une catastrophe pour les Franciliens, mieux vaut trouver de nouvelles ressources en faisant contribuer par exemple les véhicules les plus polluants et les entreprises les moins vertueuses en termes de mobilité.
Sauver les transports publics en Île de France
Rarement les transports publics franciliens n’avaient vécu une telle crise. Effondrement, visible par toutes et tous et partout, de la qualité comme de la quantité de l’offre. Si l’impact de la crise sanitaire est réel, il n’explique pas tout, tant se payent désormais certains choix faits ces cinq dernières années. Cela dit, une partie de la crise est structurelle.
Nos transports publics sont plus nécessaires que jamais dans la crise tant climatique et environnementale qu’économique : ils nécessitent que l’on y consacre des financements massifs et prioritaires. Hélas, ni la Région, ni l’Etat ne sont au rendez-vous de l’urgence.
Ni d’un point de vue environnemental ni d’un point de vue social.
Disons le d’emblée : nous refusons l’augmentation du pass Navigo pour tous.tes telle que prévue par Valérie Pécresse. Cette augmentation, de 10, 20 voire 30 euros par mois serait une catastrophe pour les Francilien.ne.s qui peinent à joindre les deux bouts et qui sont déjà durement touché.e.s par l’inflation. Et bien sûr ce sont souvent ces même Francilien.ne.s qui n’ont pas le choix : pas le choix de télétravailler, pas le choix de vivre près de leur travail, pas le choix de leurs horaires…
De plus, cette augmentation du prix du pass serait un très mauvais signal alors que l’on ne cesse d’inciter à l’utilisation des transports en commun. Car, avec le vélo, la marche (et l’aménagement du territoire), les transports en commun sont une composante essentielle de la lutte contre le dérèglement climatique et la pollution de l’air et pour une meilleure qualité de vie. A fortiori avec la mise en œuvre prochaine de la Zone à Faible Émission (ZFE) de la métropole du Grand Paris.
Bien sûr, on ne peut nier que les transports en commun font face à une crise financière majeure et inédite : l’explosion des coûts de l’énergie et la baisse de fréquentation et donc de revenus due à la crise Covid arrivent au moment où le besoin de ressources supplémentaires n’a jamais été aussi élevé. Entre l’urgence de revaloriser les salaires des salariés (en particulier les conducteurs dont la pénurie provoque nombre d’annulations de bus ou de trains), la nécessité d’améliorer l’offre et d’augmenter les fréquences des lignes existantes et la mise en service dans les mois qui viennent de nouveaux tronçons du réseau francilien (comme la ligne 11 du métro par exemple), c’est aujourd’hui, au bas mot, 750 millions d’euros qui manquent au budget d’IDFM. Et ce besoin de financement montera rapidement à 2 milliards par an, avec la mise en service progressive du métro Grand Paris Express…
Pour y faire face, nous proposons tout d’abord une cure de sobriété dans les projets de transports : il faut arrêter les gabegies comme des gares qui ressemblent à des cathédrales de béton à La défense, ou au milieu de nulle part comme à Gonesse, Il faut en finir avec la ligne du CDG Express qui relie deux points déjà desservis. Cette cure doit s’accompagner d’un choc de l’offre : il est urgent de revenir à l’offre d’avant covid et même d’augmenter les fréquences et amplitudes. Au lieu de dégrader l’offre par mesure d’économie, il faut au contraire enclencher le cercle vertueux : améliorer pour augmenter la fréquentation. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre ! Plus de trains, plus de bus, plus de tram et plus de régularité, c’est plus de voyageurs et plus de ressources.
Ensuite, il faut augmenter le versement mobilité, c’est-à-dire de la contribution des employeurs, qui bénéficient de la desserte en transport en commun pour leurs salariés et leur activité économique. Mais cette hausse ne devrait pas se faire de façon uniforme. Elle doit concerner principalement les entreprises très bien desservies, et doit être modulée pour pénaliser les “pollueurs” et encourager les entreprises vertueuses en matière de mobilité (par exemple, celles qui ont mis en place le forfait mobilité durable).
La contribution des collectivités territoriales sera aussi nécessaire, même si la hausse doit rester modérée, car elles sont, elles aussi, touchées par la hausse des prix de l’énergie. Dans le cadre de son combat pour la sobriété énergétique et pour le climat, l’Etat doit prendre sa part également, en baissant la TVA à 5,5% et en déployant des aides exceptionnelles pour créer ce choc de l’offre et enclencher son cercle vertueux..
Enfin, pour trouver l’équilibre, il faudra trouver d’autres types de ressources : revenus des véhicules très polluants circulant dans la zone à faible émission (ZFE) et des PV de stationnement, récupération d’une part de la plus-value immobilière générée par l’extension du réseau (à Londres cela a pu représenter des centaines de millions d’euros de ressources), prélèvement sur le e-commerce, les revenus touristiques,…
Les transports en commun sont un bien commun fragile dont l’affaiblissement serait une catastrophe. Nous devons décréter la mobilisation générale pour les sauver.
Mais pas à n’importe quel prix ni n’importe comment : il est des remèdes pires que le mal.
Charlotte Nenner, Conseillère régionale écologiste d’Ile-de-France
Pierre Serne, ancien Vice-Président aux transports de la région Ile-de-France